









Le Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Éthique (CILE) a organisé un séminaire spécialisé de trois jours intitulé « Éthique islamique et éducation », du 22 au 24 avril 2014 à l’Université d’Oxford. Ce séminaire a réuni de nombreux chercheurs, penseurs et experts dans le domaine de l’éducation, en provenance de pays arabes et européens : du Royaume-Uni, de France, d’Allemagne, de Belgique, du Maroc, du Yémen, de Jordanie et d’Égypte. Parmi les participants se trouvaient également le Directeur Exécutif, le Directeur Adjoint et certains membres du personnel du CILE basés à Doha, Qatar.
Le Professeur Tariq Ramadan, Directeur Exécutif du CILE et Professeur d’Études Islamiques Contemporaines à l’Université d’Oxford, Royaume-Uni, a ouvert le séminaire en souhaitant la bienvenue aux participants et aux invités. Il a insisté sur l’importance d’un tel séminaire pour promouvoir des idées essentielles et développer le débat sur des questions d’une portée stratégique pour la communauté musulmane.
Puis il a laissé la parole à M. Chauki Lazhar, Directeur Adjoint du CILE, qui a donné une brève présentation du Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Éthique (CILE), sa vision, sa mission et ses objectifs : il a souligné les efforts du CILE pour établir des liens entre les Savants du texte et ceux du contexte, afin de donner un nouveau souffle à la réflexion juridique, à la pensée, à la théorie et à la pratique dans les douze domaines de recherche du CILE, qui comprennent entre autres l’éducation, la politique, l’économie, la psychologie, les médias, l’éthique biomédicale ou encore l’environnement.
Le modérateur du séminaire, le Dr Fethi Ahmed, a ensuite prononcé le discours inaugural. Il a mis en exergue les efforts du CILE pour aborder certains domaines de la pensée et du patrimoine islamiques, s’attachant ainsi à faire face aux grandes questions auxquelles la communauté musulmane est confrontée aujourd’hui avec une approche unique qui allie tradition, modernité et créativité intellectuelle dans le cadre du système islamique des maqâsid (objectifs de la chari'a), mettant l’accent sur le rôle central de l’éthique dans tous les domaines de la vie.
Le Dr Ahmed a replacé le séminaire dans son contexte, celui de l’intérêt porté par le CILE à l’éducation en tant que base essentielle de toute activité de réforme. Il s’agit d’apporter des réponses à deux questions.
La première est théorique : quels sont les objectifs supérieurs de l’éducation en Islam ?
La seconde est pratique : quelle est la meilleure approche pour introduire les sciences naturelles et sociales dans les programmes d’études islamiques ?
Le modérateur du séminaire a ensuite déclaré que si formuler des théories, produire des idées et forger de nouveaux termes est d’un grand intérêt, cela ne saurait aller sans une mise en pratique appropriée, une approche juste et les technologies adéquates. Il faut également que les idées, théories et termes nouveaux se traduisent dans des programmes pratiques, des cursus et des modules qui formeront l’esprit et la personnalité des enfants et des adultes et leur assureront succès et créativité dans la vie scientifique et pratique : c’est là un moyen de remplir la mission humaine de gérance de la terre.
Il a également souligné que la répartition du programme du séminaire sur les trois jours montre l’intérêt porté par le CILE au développement d’un débat de qualité et à l’échange d’idées sur le thème du séminaire et les questions posées. Le temps alloué à la discussion est en effet presque le double de celui consacré à la présentation des recherches et aux commentaires.
En outre, chaque recherche présentée au séminaire est commentée par un professeur spécialisé, ce qui permet d’enrichir le dialogue, d’approfondir le débat académique et de favoriser une interaction positive entre les chercheurs, penseurs et invités, réalisant ainsi les objectifs du séminaire.
La première journée du séminaire (22 avril 2014) a vu la présentation de deux communications. La première, intitulée « Objectifs supérieurs de l’éducation islamique », était présentée par le Professeur Said Ismaïl Ali, Professeur de Pensée Éducative à l’Université d’Ain-Shams (Égypte) et commentée par le Docteur Farid Panjwani, Maître de Conférences et Directeur d’Études sur l’Éducation Islamique à l’Institut de l’Éducation, Université de Londres (Royaume-Uni).
La seconde, intitulée « Objectifs supérieurs de l’éducation et de la formation en islam : étude critique théorique », était présentée par le Docteur Ahmed Daghashi, Professeur de Pensée Éducative Islamique et de Philosophie à la Faculté d’Éducation de Sanaa (Yémen) et commentée par M. Ömer Korkmaz, Directeur de l’Éducation et des Programmes à l’Institut Suffa des sciences humaines, Istanbul (Turquie).
La deuxième journée (23 avril 2014) a vu la présentation de deux communications portant sur la pratique. La première, intitulée « Intégration des sciences de la nature dans les sciences religieuses » était présentée par le Cheikh Hafiz Sulayman Van Ael, maître de conférences en doctrines théologiques à l’Université islamique de Rotterdam (Pays-Bas) et commentée par le Professeur Ahmad Jaballah directeur de l’Institut Européen des Sciences Humaines de Paris (France).
La seconde, intitulée « La complémentarité entre savoir et valeurs dans les programmes éducatifs : approche théorique et projets appliqués », était présentée par le Professeur Khalid Samadi, chef d’équipe du groupe de recherche « Savoir et Valeurs » au Centre marocain d’études et recherches sur l’éducation et conseiller du chef du gouvernement du Royaume du Maroc, et commentée par le Docteur Khalid Hanafi, doyen de l’EIHW, Francfort (Allemagne).
Le dernier jour, M. Ömer Korkmaz, directeur de l’éducation et des programmes à l’Institut Suffa des sciences humaines, Istanbul (Turquie) a présenté une communication sur « L’expérience turque de mêler les matières islamiques et celles concernant les sciences de la nature dans les établissements d’enseignement secondaire ».
Pour finir, tous les professeurs, chercheurs et invités se sont livrés à une réflexion approfondie sur les thèmes et problèmes traités et soulevés durant les débats des deux journées précédentes. Ils ont formulé une série de recommandations dont les principales sont les suivantes :
• L’éducation et l’éthique sont absolument indissociables en islam ; du point de vue islamique, elles ont une dimension universelle se situant au sein d’une vision globale de l’univers et de la vie.
• Il est nécessaire d’intégrer le savoir religieux aux sciences naturelles et sociales sans pour autant aller jusqu’à une véritable fusion, étant donné que les différentes sciences doivent conserver leur spécificité sur le plan des thèmes, des démarches, des concepts et de la terminologie.
• La détermination méthodologique des termes est de première importance ; il faut définir la relation entre les différents objectifs et normaliser la détermination des finalités et des objectifs à évaluer et mettre en œuvre, tout en gardant à l’esprit que notre vision de l’éducation en tant que musulmans peut se trouver en concurrence avec d’autres visions.
• Il faut réexaminer et analyser les objectifs supérieurs de l’éducation dans les sources de la révélation, le Coran et la sunna, en s’appuyant sur les ouvrages traditionnels et les sources anciennes : il s’agit de formuler ces objectifs sous la forme d’une vision qui non seulement corresponde aux besoins des musulmans, mais soit à même également de faire face à la concurrence d’autres visions du monde.
• Il faut entreprendre un travail bibliographique de recensement des travaux, islamiques ou non, consacrés à l’éducation et à l’éthique, et traduire en anglais les travaux en langue arabe touchant à ce domaine.
• Il est particulièrement important de procéder à l’inventaire et à l’analyse des expériences éducatives et des projets de réforme de l’enseignement dans les sociétés arabes et musulmanes, comme par exemple l’expérience de l’Université islamique internationale de Malaisie, de l’Université islamique du Pakistan, les expériences d’éducation islamique dans des pays tels que la Turquie, le Maroc ou autres, ainsi que d’autres expériences religieuses non islamiques en ce domaine. Des entretiens approfondis devront également avoir lieu avec des experts d’autres religions : il s’agira de bénéficier de leurs connaissances tout en identifiant les points de divergence entre leurs positions et les nôtres, en reconnaissant leurs défauts afin de les éviter, et en conservant toute la prudence nécessaire dans notre approche des idées, concepts et systèmes élaborés par les autres nations.
• Le fait que certaines expériences possèdent des spécificités liées à leur réalité particulière et des perceptions clairement différentes de la détermination des concepts et des termes, ne doit pas être un facteur de blocage. Au contraire, ce doit être le point de départ d’une réflexion élaborée où le cas existant est réévalué et amendé, conformément à la méthodologie de la recherche.
• Il faut étudier les valeurs, les hiérarchiser au sein du système de valeurs, expliquer la nature de la relation entre valeurs et éducation et passer en revue les travaux de recherche sur l’éthique.
• Il convient également de réfléchir à toutes les solutions possibles pour faire face à la crise de l’éducation religieuse. Cette éducation doit bien entendu être menée en conformité avec les objectifs supérieurs de l’islam : nous devons inculquer aux enfants qu’ils doivent rechercher le savoir pour lui-même et œuvrer à la formation de personnalités équilibrées dotées de connaissances, de savoir-faire et de valeurs. Nous devons également encourager l’esprit de réflexion et de recherche libre et agir pour faire de l’éducation et de l’éthique les finalités des institutions éducatives, plutôt que le commerce et l’argent.
• Les imams, muftis et autres spécialistes doivent mettre les sciences et le savoir à la portée des gens et démontrer par la pratique les idéaux qu’ils prônent, afin de mieux toucher les gens et de les éduquer plus efficacement.
• Il faut souligner l’importance des objectifs supérieurs de l’éducation, tels qu’ils se dégagent des sources islamiques du savoir : le Coran, la sunna, le patrimoine islamique et autres sources de cet ordre. La théorie des maqâsid (objectifs de la charia) doit être considérée comme une excellente théorie et une contribution de premier ordre à la pensée humaine. Elle est d’une portée universelle, dans la mesure où elle fournit à l’humanité des pistes de réflexion loin de la répétition servile et de la simple mémorisation. Les participants ont mis en évidence les objectifs supérieurs suivants :
1. Développer la faculté de perception : c’est-à-dire développer les capacités mentales et perceptives, dont les facultés de compréhension, d’analyse, de contemplation et de méditation, et éviter l’imitation aveugle.
2. Comprendre la vision islamique de l’univers, c’est-à-dire assimiler la vision islamique de l’homme, de l’univers et de la vie, qui coïncide avec les valeurs.
3. Réformer la terre et la communauté, ce qui correspond à la mission humaine de gérance de la terre.
4. Contribuer au développement des relations mutuelles, de la coexistence et de la coopération, en favorisant des relations humaines saines, une coopération fructueuse et une coexistence sereine entre les individus au sein des communautés mais aussi entre les nations du monde, indépendamment de la race, de l’âge, de la tradition religieuse, de la culture et de l’origine géographique.
5. Satisfaire Dieu en remplissant le principal objectif de la création, c’est-à-dire adorer Dieu en toute sincérité dans la recherche de Sa satisfaction.
Les chercheurs et autres participants ont exprimé différentes opinions sur les termes employés pour désigner les objectifs de l’éducation. Les uns parlaient d’objectifs généraux et partiels, pouvant être majeurs ou mineurs ; les autres parlaient de finalités à court, moyen ou long terme. Certains affirmaient les valeurs mais divergeaient quant à leur nombre : ceci peut s’expliquer par les différences d’origine ou de formation des chercheurs et par la variété de leurs capacités respectives de déduction, d’abstraction et de discussion.
Certains experts résument par exemple les objectifs supérieurs de l’éducation en deux grands groupes :
D’une part, le succès et le salut dans l’au-delà, qui réalisent la préservation de la religion, le premier et principal des cinq objectifs supérieurs de l’islam.
D’autre part, le succès et l’excellence dans cette vie, qui garantissent la préservation des quatre autres objectifs, à savoir la préservation de la vie humaine, de la raison, de la lignée et des biens.
Pour finir, le Professeur Tariq Ramadan a clôturé le séminaire en remerciant vivement les professeurs, chercheurs et experts pour leur contribution au succès du séminaire et à la réalisation de sa mission. Il a également remercié le personnel du CILE pour les efforts d’organisation efficaces qui ont permis le bon déroulement du séminaire.
Chauki Lazhar, le directeur adjoint du CILE, a remercié à son tour les auteurs des communications et tous les autres participants. Il a encore souligné la nécessité primordiale de poursuivre le dialogue et le débat, afin de faire de ce séminaire le point de départ d’une meilleure coopération et d’une réflexion approfondie sur le thème dans l’avenir.
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